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ENTRETIEN AVEC MAURICE BENSOUSSAN, PRÉSIDENT DE L’URPS

« La revanche de l’utopie en Occitanie médicale»

« Nous prenons conscience, grâce à cette période exceptionnelle que nous sommes en train de quitter, des organisations en santé qui s’apparentent à des systèmes délirants. Le délire est de faire de l’hôpital le modèle de toutes les organisations sanitaires. En Occitanie nous en sortons depuis que nous travaillons de conserve avec l’hôpital à la suite d’une signature d’une convention régionale avec la FHF, complétée par la signature de la convention de Carcassonne avec l’ARS et l’Assurance Maladie. »
Pour le Dr Maurice Bensoussan, la Région a été remarquée lors de la pandémie par la valeur de ces partenariats qui vont se décliner en des initiatives organisationnelles déterminantes pour l’avenir du système de santé dans les territoires. « L’utopie – ce que nous avons rêvé de faire – va être demain une réalité ! », se félicite le président de l’URPS-ML . En Occitanie médicale, serait-ce l’heure de la revanche de l’utopie ?

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MÉDECIN D’OCCITANIE. Comment interprétez-vous l’attitude des libéraux d’Occitanie pendant la pandémie ?

Dr MAURICE BENSOUSSAN. Réactivité, esprit d’initiative et capacité à s’organiser, ce sont ces qualités qui ont caractérisé l’attitude des médecins libéraux pendant cette crise majeure. Dans pareille situation, ils se sont appuyés sur leurs convictions pour l’exercice de leur métier et l’engagement auprès de leurs patients. Des médecins ont su, rapidement, mettre en place des lieux Covid en partenariat avec l’ARS et l’Assurance Maladie, à un moment où il fallait gérer l’angoisse, la pénurie, et avoir la capacité de soigner des gens contaminés, de différencier ceux qui étaient infectés et ceux qui avaient peur de l’être. Ils se sont mis en ordre de marche avec d’autres professionnels de santé. De leur côté, les médecins d’établissements privés ont renoncé immédiatement à tout acte médical quand on le leur a demandé. Ils ont suspendu leur activité pendant deux mois et ont suivi sans discussion les directives du Plan Blanc élargi.

Comment avez-vous perçu les applaudissements nocturnes de la population adressés aux soignants des hôpitaux ?

Ce genre de manifestations fait suite à une forme de médiatisation de la médecine. À les observer, on a l’impression que la médecine ne s’exerce que dans des centres hospitaliers. Il faut rectifier cet aveuglement qui est un véritable déni de la réalité. La médecine s’exerce aussi dans les établissements privés, elle se fait également au plus près des patients avec les médecins libéraux. Les dernières données médicales qui viennent d’être publiées indiquent que 1/3 des médecins sont salariés dans notre pays, 2/3 sont libéraux ! Pourtant, l’attractivité médicale se perd. On est en train d’étrangler la médecine libérale, on l’oblige à travailler avec des dépassements d’honoraires, sur le dos des patients d’une certaine manière, alors qu’il faudrait avoir un vrai accompagnement des pratiques libérales. On a voulu faire de l’exercice libéral un exercice du passé, alors qu’il constitue l’exercice de l’avenir. Il faut aller dans le sens que l’épisode Covid nous a montré, qui valide la pertinence d’un exercice médical libéral, gage d’une pratique de qualité et qui indique le besoin d’une bonne articulation entre la ville et l’hôpital. Faut-il rappeler que sur les territoires, il y a des spécialités où il n’y aura bientôt plus d’offres libérales qui seront remplacées essentiellement pas une offre hospitalière. Imaginons une dermatologie qui soit uniquement hospitalière, une cardiologie uniquement hospitalière, une gastro-entérologie uniquement hospitalière, une psychiatrie uniquement hospitalière… c’est juste catastrophique ! Ce qui fait la richesse de notre pays est la capacité à conjuguer de façon complémentaire et collaborative des pratiques hospitalières et des pratiques libérales, fondées sur l’harmonie.

Vous parlez d’un déni de réalité qui a frappé notre organisation sanitaire. Pour quelle raison en sommes-nous là ?

L’hôpital ne peut pas tout gérer, tout traiter. Cette forme de délire que j’évoque conduit à croire que le modèle du soin repose sur le soin complexe. Le soin courant et la prévention sont dès lors secondarisés. En insistant sur l’importance de la prévention lors de l’épidémie - gestes barrières, masques, confinement -, on a montré qu’un système qui ne donnait pas la place à cette prévention était aberrant et organisait les soins sur le modèle de l’hôpital, voire pire, de l’hôpital universitaire qui est loin d’être un modèle d’organisation. L’organisation se fait en fonction des pathologies que l’on traite et qui relèvent d’une prise en charge, légère, faite par des professionnels qui sont coordonnés à partir de pratiques individuelles. Il n’y a aucune raison que cette organisation soit prise en charge par une institution. On ne doit pas institutionnaliser le travail des professionnels de santé. Le modèle libéral, solvabilisé, basé sur l’engagement individuel peut être un bon modèle. Aujourd’hui, l’évolution de la tarification doit également tenir compte de l’engagement individuel devant être valorisé pour tout professionnel de santé, quel qu’il soit. C’est ce que nous apprend le covid. L’utopie est de compter sur l’engagement des professionnels. On se rend compte que le soin n’est pas qu’un soin technique, automatisé, perfectionné, le soin véritable est basé sur l’engagement individuel des professionnels auprès de leurs patients.

Vous évoquez souvent un changement de paradigme. Le paradigme suppose une représentation du monde pour parvenir à une réflexion, voire une création. Et la première étape qui y conduit est d’entrer dans le champ de l’utopie. La signature de la Convention de Carcassonne est partie d’une utopie. C’est un mode de fonctionnement qui marche. Est-ce que vous partagez cette idée que la réussite d’un projet consacre la revanche de l’utopie ?

S’il n’y a pas l’utopie, si on ne rêve pas, si l’imaginaire n’est pas présent, on ne peut pas construire des choses nouvelles. La création est basée sur un rêve, sur des illusions. Nous avons trouvé un écho dans les relations avec l’ARS, l’administration a accepté d’accompagner cette part de rêve. Cette part de rêve, de quoi s’agit-il ? Individualistes, dans nos exercices de libéraux, nous sommes capables, avec l’idée d’être les seuls à bien faire – ce qui n’est pas forcément faux -, de nous organiser, de travailler ensemble, avec l’objectif que, pour rendre un service à un individu, on puisse le rendre à une population. L’utopie d’aujourd’hui est le modèle de demain : nous allons valoriser dans l’axe thérapeutique non seulement le savoir du médecin et sa compétence qui est indispensable mais aussi son engagement qui doit être à la hauteur de son savoir. Ce savoir n’est rien s’il n’est pas porté par l’engagement. On ne peut pas considérer la santé du seul point de vue économique, aussi fondamental soit-il .

Allez-vous intervenir plus avant dans cette boucle d’accompagnement ?

En Occitanie, nous allons agir plus dans l’accompagnement des projets des CPTS. Les URPS vont aller jusqu’à la rédaction du projet de santé et l’écriture des statuts d’une Communauté professionnelle. Notre intervention donne une dimension politique à un dessein qui ne soit pas un projet d’individus mais un projet qui est portée par une idée populationnelle et une volonté collective. L’ARS l’a compris en acceptant de renouveler le contrat de Carcassonne et en autorisant un accompagnement plus abouti. Cela comporte l’intention de réussir des organisations libérales. Nous, les 10 URPS, étions engagées à accompagner les soignants qui se rassemblent autour d’un projet de création de CPTS. Nous allons maintenant accompagner les porteurs de projets sur la façon dont ils vont travailler ensemble. Cela suppose que l’administration nous délègue - avec difficulté pour l’Assurance Maladie -, une charge qu’elle s’octroie d’ordinaire. Tous les projets de santé seront dorénavant liés aux professionnels de santé d’un territoire et non liés à un schéma directeur technocratique fixé par le Ministère. Cette délégation d’accompagnement ira jusqu’à la contractualisation du projet avec l’ARS, qui est la dernière étape qui reste sous sa responsabilité.

Comment analysez-vous cette avancée ?

C’est une marque de confiance dans l’institution que nous représentons. Notre relation construite pas à pas avec l’ARS est forte dans notre région, alors que pour le Ségur de la Santé le ministre a oublié de convier la conférence nationale des URPS. Drôle d’oubli ! L’objectif du Ségur est de vouloir gérer les problèmes politiques de revalorisation salariale à l’hôpital. Cette approche des seules questions hospitalières va contre l’ambition de « Ma Santé 2020 ». Nous ne pouvons pas rester dans l’abord des questions de santé, sur le seul modèle hospitalier comme le Ségur l’affiche médiatiquement. Les usagers, pour leurs problèmes simples de santé, doivent trouver des organisations légères pour résoudre leurs problèmes, et non aller aux Urgences pour la moindre des choses. Cela nous a conduit à la candidature de la médecine ambulatoire d’Occitanie à l’expérimentation portée sur les services à l’accès aux soins, qui consacre un vrai modèle partenarial décloisonnant les relations entre la ville et l’hôpital. Si, dans le cadre du soin non programmé, on part sur un numéro unique d’appel, nous allons nous organiser pour que ce soient les bons professionnels à la bonne place pour répondre : jamais l’hôpital ne doit répondre pour un problème simple, avoir un avis médical sur une angoisse aigüe ou une entorse, ce genre de chose qui peut être traitée par une organisation de proximité. Tandis qu’un accident cérébral, un accident ischémique, un infarctus du myocarde, un état d’agitation, cela relève de l’hôpital et non de la ville. Et si l’hôpital se met à faire ce que doit faire la ville, c’est aussi fou que si la ville se met à faire ce que doit faire l’hôpital. C’est aussi fou qu’un médecin de ville fasse une appendicectomie dans son cabinet, ou qu’une quinte de toux soit soignée à l’hôpital. Nous sommes arrivés à un système délirant parce que cette anomalie-là ne choque personne.

Quand ces nouvelles initiatives vont-elles être mises en place ?

Dès ce mois de juillet ! Les intentions nationales, nous allons y répondre dès maintenant, régionalement. Tous les acteurs de la santé d’Occitanie sont d’accord pour anticiper les directives nationales et répondre tout de suite à l’appel à projet sur des propositions organisationnelles pour le service d’accès aux soins, qui n’est possible que parce que se développent des CPTS sur le territoire.

Propos recueillis par Luc Jacob-Duvernet

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