Inégalités territoriales versus désertification médicale : cette opposition masque la véritable analyse à faire de l’accès aux soins et des difficultés sur certains territoires.
La sémantique a perdu une bataille lorsque des patients ont eu du mal à trouver dans certains pays un médecin dans la journée ou un spécialiste dans la quinzaine et s’en sont ouverts à des représentants de la presse. À la formule « inégalités territoriales » on préfère « désert médical » qui fait le bonheur des médias à la recherche de raccourcis factices. Ces médias qui évoquent la « pénurie » de médecins dans des « territoires désertés » et vont jusqu’à proposer sérieusement un « véritable plan Marshall » pour surmonter les vents du désert où, dit-on, ne pousserait aucun professionnel de santé. Ce « désert médical » a le don d’en exaspérer plus d’un à l’URPS-ML, et au premier chef le Docteur Maurice Bensoussan qui, entre deux discours, s’est fait l’écho de cette exaspération aux rencontres de La Grande Motte en juin dernier. Le Dr Olivier Darreye parle de « mauvais vocabulaire » et insiste pour que l’on évoque à la place « des difficultés d’accès aux soins ». Le Dr Jean-Louis Bensoussan partage cet avis : « Dans certains secteurs, dit-il, il est effectivement difficile d’avoir un médecin traitant. C’est une des raisons majeures de la création des CPTS pour répondre à cette demande d’accès aux soins. La seconde difficulté concerne le deuxième recours, celle d’avoir des rendez-vous avec des spécialistes. Et puis nous constatons des retours de patients qui se plaignent de dépassements d’honoraires et qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas assurer. » Et le vice-président de l’URPS-ML de donner un contour plus précis à l’intitulé « inégalité territoriale » : « À Toulouse et dans sa périphérie par exemple, les patients peuvent choisir des spécialistes comme ils le souhaitent, avec des délais de rendez-vous certes parfois longs. Et dans d’autres endroits, les patients n’ont aucun choix. C’est là que se créent les inégalités et les iniquités. Dans notre grande région d’Occitanie, nous avons la chance d’avoir une densité médicale qui est globalement très bonne mais bien sûr nous faisons face à quelques disparités, là où les choses deviennent difficiles à supporter. »
Ces disparités procèdent de deux raisons selon le Dr Olivier Darreye : « L’organisation est insuffisante pour permettre aux gens de se soigner. En cas de soins aigus, de soins non-programmés, les patients n’ont pas toujours le fléchage suffisant pour savoir où s’adresser pour ces soins non planifiés et qui peuvent être partagés avec d’autres professionnels de santé. » La deuxième raison tient aux délais de rendez-vous trop longs : « Si on n’offre pas aux patients un délai acceptable pour un rendez-vous avec un généraliste, et plus certainement avec un spécialiste (pour un ophtalmologue, il faut compter dans mon territoire rural entre un an et un an et demi, pour un neurologue entre trois et quatre mois), ils se lassent, décrochent et ne cherchent pas à consulter un médecin. Nous sommes dans l’inégalité des soins, parce qu’il y a renoncement aux soins. Et quand les patients ne trouvent pas de généralistes, ils se rendent aux urgences. Ce renoncement aux soins est un facteur de risque. Dès lors, il faut parler d’équité face aux soins, tout le monde doit avoir la même chance de rencontrer des professionnels de santé. »
On serait tenté de calquer la carte de l’inégalité territoriale sur la carte de l’inégalité sociale de santé. Le médecin de Vayrac pense que ce serait une erreur : « Dans le terme même de désertification, on pourrait affirmer avoir trouvé la solution à cet état. Il suffirait de dire que, dans un désert médical, il n’y pas assez de médecins, donc il en faut plus. À l’URPS, nous disons ceci : il ne s’agit pas d’inventer des médecins qui n’existent pas, de les importer dans ces déserts, mais de faire en sorte que les médecins déjà présents sur ces territoires développent une organisation leur permettant de travailler dans de bonnes conditions. Cela aura plusieurs effets : des jeunes médecins voudront s’installer si l’organisation est performante, et chaque patient aura accès au bon professionnel, au bon endroit, au bon moment. Si l’on compare la démographie médicale et les inégalités sociales de santé, en toute logique cela ne doit pas se recouper, même si dans certains endroits cela peut être concordant parce que cela constitue un facteur aggravant du fait de la rupture du parcours de soin. »
L’économiste de l’ARS Denis Ducros partage ce sentiment : « Les gradients sociaux traversent les territoires. Par exemple, pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, on observe un fort gradient social de recours sur l’ensemble de l’ex-région Midi-Pyrénées. Mais sur l’agglomération de Toulouse, territoire plutôt favorisé, nous constatons le même gradient social. Ce gradient peut être accentué ou réduit dans certains territoires de la région selon l’accessibilité à des professionnels qui réalisent des frottis, le niveau socioéconomique de la population ou par la présence ou l’absence d’actions locales de sensibilisation des femmes. Mais une chose est sûre, la fracture territoriale est très souvent dépassée par la fracture sociale. Ce sont deux fractures bien distinctes même si elles peuvent s’additionner. »
Pierre Kerjean